Critique dans Le Matin – 1910 (Retronews) :
« Mlle Karpelès a bien compris qu’en un temps où les peintres sont innombrables, le moyen le plus sûr de se sortir du rang est d’aller très loin, par exemple visiter les Indes et le Cachemire. On a plus de chances d’y être original qu’à Joinville-le-Pont. S’il est dit qu’un jour viendra, où, lassés des tableautins, nous demanderons aux artistes d’orner nos maisons avec de belles compositions décoratives, l’heure, peut-être, est venue de parcourir le monde pour y glaner les éléments qui serviront de thèmes neufs aux illustrateurs de murailles.
Je vois bien, ordonnées en longue théorie, les femmes portant des offrandes au temple que Mlle Karpelès observa Bénarès. Gestes, attitudes, plissés, tonalités, s’y prêtent une possible stylisation que vraisemblablement la jeune artiste n’a pas prévue, mais qu’elle a d’instinct, confusément pressentie en groupant ses figures. De même ses bayadères, Fleur de Joie, Kessiri, Lumière-du-Monde, montrent-elles des balancements de formes tels qu’un décorateur pourrait aisément les transposer du tableau de chevalet à l’enduit préparé pour une fresque.
Mlle Karpelès s’affligera sans doute d’entendre commenter son œuvre d’un point de vue si différent du sien. Elle eût préféré qu’on appréciât dans la limite du cadre, les temples, puits, marchés, baignades, cimetières, portiques, bazars, étangs sacrés où elle exerça un métier franc et qui l’eût pu être davantage si elle avait eu plus d’audace dans la notation de la lumière extrême-orientale.
Tout cela certes mérite éloge, mais mon rôle est de voir déjà plus loin je maintiens donc qu’après avoir, dix-huit mois durant, suivi en « maison flottante » le cours des rivières de là-bas. Mlle Andrée Karpelès, instruite par un noble ciel et de magnifiques horizons, revient plus décorateur encore que peintre. La prophétie, devant son œuvre, parait osée. Pourtant, l’expérience la confirmera assez vite, si l’artiste veut bien essayer.«